Possibilité de l’enregistrement à l’insu de l’employeur ou du salarié

En entreprise, l’enregistrement à l’insu de la personne est un sujet classique, par exemple lors de l’entretien préalable au licenciement. J’ai déjà eu l’occasion d’en parler plusieurs fois, par exemple ICI.

Pour résumer, un enregistrement clandestin est, sur le plan prud’homal, un mode de preuve illicite, car obtenu de façon déloyale. De façon classique, il ne pourra donc pas être produit en justice comme preuve.

Mais, surprise, voici une nouvelle décision de la Cour de cassation sur ce sujet et rendue le 23 décembre 2023, donc très récente. Cette décision  est à première vue étonnante et contradictoire.

Dans cette affaire, c’est l’employeur qui avait enregistré le salarié, un commercial, qui refusait de fournir ses rapports d’activité. Seul cet enregistrement permettait à l’employeur de prouver l’attitude du salarié. Sans surprise, la Cour d’appel avait rejeté ces enregistrements, car il s’agissait d’une preuve obtenue de manière illicite ou déloyale, à l’insu du salarié.

La Cour de cassation a jugé autrement, se basant notamment sur  l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, convention internationale ratifiée par la France et directement applicable, ainsi que sur différents arrêts rendus par la Cour Européenne des droits de l’Homme.

Ces textes et jurisprudences consacrent le DROIT A LA PREUVE, qui permet dans certaines situations de déclarer tout de même recevable une preuve pourtant obtenue de façon illicite.

Pour la Cour de cassation, le principe reste qu’une preuve est irrecevable lorsqu’elle est obtenue à l’insu de la personne par un stratagème ou une manoeuvre.

Mais, la Cour met en balance ce principe avec le droit à la preuve, qui peut dans certaines situations exceptionnelles, justifier la production de cette preuve dès lors que :

– il s’agit du seul moyen de prouver sa position, c’est à dire dès lors que cette production de preuve est absolument indispensable,

– l’atteinte à ce principe demeure strictement proportionnée au but recherché. Voir article 1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

L’arrêt initial de la Cour d’appel est donc cassé, faute d’avoir réalisé ce contrôle de proportionnalité.

Par conséquent, je crois que le principe existant n’est pas modifié dans ses fondements. Il s’agissait ici d’un mode de preuve semble-t-il impossible à obtenir par un autre moyen, et qui était proportionné au but recherché. Ici, il n’y avait donc pas d’abus, pour la Cour de cassation.

Mais il en serait je crois différemment dans toutes situations habituelles que j’ai eu l’occasion de décrire.

Source  Cassation sociale 22 décembre 2023, n° 20-20.648. Yves Nicol avocat Lyon droit du travail janvier 2024

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